L'inopposabilité au salarié des enregistrements issus d'une vidéosurveillance constante
-Dans un arrêt du 23 juin 2021 (n° 19-13.856), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité comme mode de preuve d’un enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance continue du salarié.
Un cuisinier employé dans une pizzeria a été licencié pour faute grave pour des faits qui ont été prouvés au moyen d’images obtenues par un dispositif de vidéosurveillance constante au sein de la cuisine où il travaillait seul.
Il a saisi la juridiction prud’homale d’une action en contestation de son licenciement. La cour d’appel lui a donné raison et a condamné l’employeur à lui payer des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de rappels de salaire et congés payés afférents, outre des dommages-intérêts pour licenciement abusif.
L’employeur s’est pourvu en cassation en faisant valoir que les salariés ont été informés de la mise en place d’un système de vidéosurveillance et de sa finalité, le seul défaut d’information sur la personne destinataire des images et modalités concrètes de l’exercice du droit d’accès dont disposent le salarié ne rend pas inopposable à celui-ci les enregistrements issus de cette vidéosurveillance.
Il invoque également le fait que le dispositif de vidéosurveillance avait pour but de s’assurer de l’absence de réitération par le salarié de manquements aux règles d’hygiène et de sécurité, dans un but de sécurité des personnes et des biens, peu important qu’il soit le seul salarié à travailler dans la cuisine.
La Cour de cassation devait donc s’interroger sur l’opposabilité au salarié, comme mode de preuve de son licenciement, des enregistrements issus d’une vidéosurveillance constante.
Elle a approuvé la cour d’appel d’avoir estimé que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance constante, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas opposables au salarié.
Le fondement textuel de cette solution est l’inaltérable article L. 1121-1 du code du travail aux termes duquel nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
Cette décision est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, elle fait prévaloir le droit à la vie personnelle du salarié aux temps et lieu de travail sur le but allégué par l’employeur qui était celui de la sécurité des personnes et des biens, au regard des règles d’hygiène et de sécurité invoquées.
Ensuite, le seul fait que le système de vidéosurveillance ait fait l’objet d’une information préalable aux salariés n’est pas suffisant à le rendre opposable en cas de manquement. Sur ce point, la Cour de cassation avait pu juger illicite le dispositif de vidéosurveillance installé à l’insu des salariés (Cass. Soc., 20 septembre 2018, n° 16-26.482).
L’information préalable du dispositif de vidéosurveillance aux salariés est nécessaire à titre de validité, mais pas suffisante au titre de l’opposabilité du mécanisme de surveillance. Il faut également que ce système soit justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché.
Il semble que ce soit moins le système de vidéosurveillance qui pose une difficulté que son caractère permanent et constant, nécessairement disproportionné. Cela étant, la circonstance que ce même salarié ait pu, par exemple, commettre une infraction pénale aurait entraîné une solution différente.
En effet, dans un arrêt remarqué du 17 octobre 2019 (CEDH, n° 1874/13 et n° 8567/13, Lopez Ribalda et autres c. Espagne), la Cour européenne des droits de l’homme a estimé recevable le dispositif de vidéosurveillance installé à l’insu des salariés compte tenu des soupçons raisonnables de faits de vol commis par des employés d’un supermarché.
Il faut donc retenir que la vidéosurveillance dont le seul but serait de servir à l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur peut être inopposable au salarié comme mode de preuve, car attentatoire à la vie personnelle, exception faite, vraisemblablement, de la suspicion de la commission d’une infraction pénale au sein de l’entreprise.
Jérémy DUCLOS
Avocat
Spécialiste en droit du travail
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